Heidi Sevestre

Enfant, elle cherchait n’importe quelle excuse pour rester dans ses montagnes de Haute-Savoie. Alpiniste dès 12 ans, elle s’est orientée naturellement vers la glaciologie et communique désormais par tous les moyens l’état de ses recherches.

Publication : septembre 2019 / Texte : Philippe Guerry / Photo : © Julien Chauvet

À 31 ans, Heidi Sevestre, arpente une bonne partie de l’année les territoires arctiques pour étudier la dynamique des glaciers. Elle contribue aussi à former de jeunes Rochelais aux enjeux du développement durable.

Une glaciologue à La Rochelle, ce n’est pas fréquent. Qu’est-ce qui vous amène ?

- Je suis associée depuis trois ans à un projet, « Demain, c’est nous », projet d’éducation et de sensibilisation au changement climatique, piloté ici, à La Rochelle, par François Bernard, professeur de technologie. J’accompagne des classes de collège et lycée lors de séjours scolaires dans l’archipel du Svalbard, en Norvège, que je connais bien, puisque c’est un de mes terrains de recherche.

Dans quel cadre les accompagnez-vous ?

- Les élèves du collège et du lycée Fénelon peuvent choisir une option d’enseignement sur le thème de la sensibilisation aux enjeux environnementaux, en l’occurrence le réchauffement climatique. Il s’agit de rendre les élèves acteurs, porte-parole et force de propositions autour de cette problématique, en leur montrant, sur le terrain, de la façon la plus concrète qui soit, le travail des chercheurs, les enjeux, les attentes. Une première classe est partie en 2018, une seconde au printemps 2019, une troisième s’annonce pour 2020.

Ça fait une classe de neige plutôt sympa… 

- (rires) Cela semble très sympa sur le papier mais c’est énormément de travail pour ces jeunes élèves, comme pour nous. Il faut entendre que les enjeux vont bien au-delà de la simple sortie scolaire. Sur place, ce ne sont pas des vacances. Ils sont accueillis à l’Université du Svalbard et rencontrent des scientifiques qui leur confient des observations, des relevés, des mesures à faire sur le terrain. Ce sont des scientifiques en herbe, pleinement impliqués auprès des chercheurs.

En quoi vos recherches en glaciologie trouvent-elles un écho sur notre littoral ?

- Le lien évident, pour une glaciologue, c’est la hausse du niveau de la mer. Nous travaillons sur des régions – le Groenland, l’Antarctique – qui contiennent énormément de glace. Elle est en train de disparaître petit à petit, et contribue à la hausse du niveau des océans. Mon job, entre autre, c’est de comprendre à quelle vitesse ce phénomène est en train de se produire.

Vous-même, vous êtes alarmiste ? Vous pensez que le dérèglement est réversible ?

- Communiquer nos résultats est assez compliqué. Je dirais que jusqu’à présent, nous avons été plutôt modérés, et que ce n’est malheureusement pas suffisant pour que les gens réagissent. Je ne suis pas de celles qui disent que c’est la fin du monde et qu’on ne peut plus rien faire. Il faut agir, vite, mais on peut encore changer les choses. Le problème des glaciers, c’est que quand on atteint certains seuils de température, on enclenche des mécanismes qu’on ne peut ensuite pas arrêter. Ces mécanismes, on commence vraiment à les titiller à mesure que l’on tend vers cette fameuse augmentation de 1, 5° de température globale par rapport à la période pré-industrielle. On y est, on est un peu au pied du mur, mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire.

Justement, les jeunes que vous accompagnez ont une quinzaine d’années. À quels métiers, pour quels besoins immédiats, les préparez-vous ?

- Nous aurons des besoins permanents de modélisateurs, de professionnels de la biodiversité, de la gestion de l’eau, des sols… mais aussi des spécialistes en géographie, en aménagement, en économie, en démographie… 700 millions de personnes vivent entre 0 et 10 mètres d’altitude.

Comment articulez-vous votre travail de chercheuse et celui de « vulgarisatrice » ?

- Le cœur de mon travail, c’est la recherche. J’ai toujours quelques instruments qui collectent des infos sur des glaciers ici ou là dans le monde. Mais je trouvais difficile d’observer certains phénomènes rapides et de ne pas pouvoir communiquer ces observations. Je me suis donc résolument engagée pour tirer ce trait d’union entre chercheurs et grand public.

Vous présentez justement une série documentaire, « Terres extrêmes » sur France 5, qui vous amène sur des terrains qui ne sont pas uniquement glaciaires. Comment créez-vous des liens entre des phénomènes qui apparaissent distants ?

- Ce qui est intéressant c’est précisément que l’émission m’oblige à sortir de ma « zone de confort ». Sur place, au Chili, au Japon, en Islande, on se rend vite compte que le dérèglement climatique affecte absolument tous les écosystèmes… On s’aperçoit aussi que les populations qui vivent dans les zones les plus sensibles sont déjà dans des logiques d’adaptation. Les gens qui y habitent constatent que les changements sont déjà en cours et que la question n’est plus « comment les éviter ? » mais bien « comment faire avec, maintenant ? ». J’ai vu ça au Japon par exemple, où l’on rehausse, littéralement, des villes de plusieurs mètres.

Où allez-vous poursuivre ce travail ? Quel est votre prochain voyage ?

- Tout d’abord, je dois retourner au Svalbard pour des recherches en cours et de nouveaux travaux de sensibilisation. Je dois également y rejoindre un bateau français, le Energy Observer, un bateau entièrement propulsé aux énergies renouvelables et à l’hydrogène, qui entend montrer que ces modes de propulsion ont leur place dans toutes les régions du monde, y compris arctiques. Et à l’automne, il est prévu que je me rende en Colombie, pour étudier des glaciers tropicaux qui sont menacés de disparaître d’ici cinq à dix ans et raconter l’histoire des populations dont la vie s’organise autour de ces glaciers et qui envisagent leur vie « après ».

Dans ce contexte, ce n’est pas désespérant d’être glaciologue ?

- Je suis et je reste quelqu’un de très optimiste, dans un monde où il n’y a pas de bonnes nouvelles à annoncer. Et il n’y a pas de bonnes nouvelles en glaciologie en ce moment. Mais c’est précisément pour cela qu’il faut se retrousser les manches et ne pas baisser les bras !
 

Repères

  • 1988 : naissance à Gruffy en Haute-Savoie
  • 2006 : entame des études de géographie physique à l’université de Lyon 3
  • Depuis 2016 : en plus de ses activités de recherche, elle multiplie les interventions auprès du grand public lors de conférences, de croisières, d’émissions de télévision
  • Avril 2018 : organise la première visite au Svalbard d’une classe du lycée Fénelon, afin de sensibiliser aux impacts du changement climatique

Dernière mise à jour : 11 mars 2020

Cette page a-t-elle répondu à vos attentes ?