Raymond Depardon

Avec Claudine Nougaret, son épouse, ingénieure du son et co-réalisatrice, Raymond Depardon était l’invité des Escales Documentaires, le 7 novembre. Dans la salle d’expo photo toute désignée du Carré Amelot, juste au-dessus du foyer du festival, il a bien voulu “papoter“, comme il dit…

Photographe et réalisateur à la première personne du singulier (et du pluriel avec sa femme depuis plus de trente ans), il évoque d’abord son “Journal de France“, projeté le soir. On y voit un Depardon en campagne à bord de son camion filmant le pays et parcourant ses archives, soixante ans d’images nées d’un objectif subjectif.

A t-il découvert sur lui-même des choses qu’il ignorait ?

RD : Je suis pas du genre à faire trop d’introspection, j’aime plutôt avancer sur de nouveaux projets que faire marche arrière. Mais c’est vrai que j’ai l’habitude de revenir sur mes images. Dans un sens c’est assez terrifiant parce que c’est un travail avec le deuil, et il y a aussi du positif parce que tu reviens sur toi même.

J’avais gardé beaucoup de boîtes, pas trop par fétichisme mais quand même on l’est toujours un peu ou un peu parano, et je m’apercevais que je disais à mes proches, y a un truc là, que j’avais photographié… y a mes premières petites amies, etc. Je commençais à radoter, quoi ! Il fallait arrêter, casser ça, cette spirale, parce que je commençais à dire : c’était mieux avant. Il y a des choses que je regrette, qui ne sont pas dans le film, mais les hommes d’image marchent toujours avec des regrets, et on a l’impression que le réel ne viendra jamais nous rassurer.

Pourtant vous vous y êtes beaucoup confronté, au réel…

RD : Oui, mais y a des choses… par exemple un moment donné j’ai fait pas mal de publicités pour vivre et être plus libre encore pour pouvoir partir sur des histoires à moi et je ne les ai pas montrées, ces pubs. Je le regrette parce qu’elles font partie de ce chemin.

On croit toujours que l’on a du temps…

Vous avez appris ça, en faisant ce film, que l’on n’a pas toujours le temps ?

RD : Oui, un moment tu te retournes un peu et tu t’aperçois que les autres ne sont plus là.

Qu’est-ce qui vous attire dans le festival des Escales ?

RD : Y a 5 minutes, un jeune m’a dit “j’aimerais faire des films documentaires, je suis photographe, j’ai beaucoup voyagé dans ma vie, et maintenant j’aimerais faire des films“. C’est ça qui m’intéresse, l’écriture, les gens qui après avoir un peu vécu ont envie de filmer, moi je trouve ça formidable. J’ignore ce qu’il veut faire ce gars, mais y a pas besoin d’acteurs, pas besoin de gros moyens…

Justement, les outils d’aujourd’hui, les nouvelles écritures du réel, web, smartphone, que signifient-ils pour vous qui n’avez guère adopté le numérique ?

RD : ça c’est un détail parce que j’appartiens à la vieille génération. L’important c’est que des gens veuillent faire un film. Moi j’ai deux garçons, l’un architecte l’autre cinéaste (les chiens font pas des chats !). Je pourrais lui prêter ma caméra, lui dire fais comme moi. Non, il ne faut pas qu’il fasse comme moi. Faut qu’il fasse quelque chose d’autre. Il s’est lancé dans un film qui va sortir en salle sur les fans de Johnny à La Madeleine. Il l’a fait avec un appareil photo numérique et c’est pas mal. J’ai été surpris.

Alors oui, y avait autrefois un côté romantique, on prenait une caméra, on achetait de la pellicule et voilà, on faisait Brigitte Bardot et des conneries, des trucs pas possibles de princesses. ça me payait une boîte de film et j’allais tourner mes trucs personnels. Néanmoins il reste toujours les mêmes questions : qu’est-ce que je vais faire ? quel est mon objectif ? quelle est ma distance ? 1,50 des gens ou 4 mètres ?

Alors si je dois acheter une camera numérique pour faire un film, je le ferai. “12 jours“ était en numérique, à cause de l’autonomie. J’étais un peu déçu. J’ai eu l’impression que j’aurais fait ça sur pellicule j’aurais eu plus d’émotion sur les portraits. Le numérique était un peu froid.

Puisqu’on parle de moyens, pardonnez la simplicité de la question mais, l’appareil photographique, pour vous, c’est quoi ?

RD : C’est un prolongement du regard mais c’est surtout un battement du cœur, c’est l’émotion. C’est extrêmement personnel un appareil photo.

Vous l’avez toujours avec vous… (Leica M7 à ses côtés)

RD : Oui parce que je suis d’une génération qui est passée par le scoop. Entre nous, je ne souhaite à personne de passer par là, il fallait photographier des vedettes, etc. A présent ils n’ont plus besoin de ça pour être cinéastes ou photographes.

Maintenant je garde mon appareil parce que j’aime bien les temps faibles, où tout est suspendu. Quand on a débuté on était inféodés à nos pères Cartier-Bresson, Doisneau, des humanistes. Et nous qu’est ce qu’on allait faire après ça ?... Quel petit espace pour nous. Puis on s’aperçoit qu’on n’est pas obligé de faire comme ses pères. A un moment, faut même le tuer, le père.

Alors je continue à faire des temps faibles pour les remonter en temps forts, j’aime bien cette idée.

Est-ce que vous voyez une parenté entre l’art de photographier ou de filmer qui est le vôtre et l’art de cultiver la terre qui est celui de vos origines ?

RD : Oui, souvent j’y pense, surtout à mon père qui était obnubilé par le temps, la lune, comme tout paysan. Jamais content, insatisfait du réel, la récolte était trop ci ou trop ça. Au fond le photographe est pareil, jamais content, même quand il sent que sa photo est plutôt bonne il se méfie de cet état de se vanter parce qu’y a rien de rassurant. Le réel n’est pas rassurant et comme on travaille avec le réel on est comme un paysan, on est pas rassuré.

Une bonne photo, elle se mérite ?

RD : Je viens du monde rural, je suis un latin, un Français… on marche au mérite. On croit qu’une bonne photo se mérite. Alors qu’une très bonne photo peut se faire sans mérite. Il suffit d’être là. Pendant la campagne de Nixon, en 68, il sort de l’avion et y a un gars avec un drapeau américain qui passe dans le cadre. J’ai pas de mérite, c’est la première photo que je fais ! Le regard n’a rien à voir avec le mérite. S’il y a une association à faire avec la photo, c’est le piano : travailler les gammes. Certains moments ça va très vite, il faut avoir travaillé ses gammes.

En 2008, l’expo “Terre natale, ailleurs commence ici“, à la Fondation Cartier, vous a réunis Paul Virilio et vous. Quels points communs, ou au contraire en tension, aviez-vous avec lui ?

RD : Je ne connaissais pas Paul, je suis venu le rencontrer à La Rochelle. Il était tellement en avance sur tout le monde lorsqu’il parlait du climat, des migrants, tout ça. Je me disais : qu’est-ce que je vais pouvoir faire, comment je vais traduire ça ? car moi j’étais dans un certain sens “premier degré“ et lui était fantastique. Un grand visionnaire !. Moi, au contraire, il faut que je voie, que je touche. Alors ça a été une sorte de défi. Comme il disait que l’on allait trop vite autour de la terre, j’ai décidé de faire le Tour du monde en 14 jours (rires). J’ai beaucoup aimé travailler avec lui.

Pendant 5 ans dans les mairies de France les gens se sont mariés sous une photo signée Depardon. On ignore si cela a eu un effet sur eux, mais cela a t-il produit un effet sur vous ?

RD : C’est vrai que c’est ma plus grande expo !  Moi j’ai essayé de faire la photo la plus simple possible. Etre simple c’est toujours le plus difficile. Il est comme il est, François, c’est pas un acteur de cinéma ! Ce que je voulais c’est qu’il bouge et il fallait qu’elle me plaise cette photo, j’avais pas envie de répondre à une commande. En ça, il m’a fait confiance et pour moi c’était un service civique.
Je me suis rabattu sur des vieux trucs, avec un appareil qui me portait chance. J’avais commencé au numérique puis je suis passé au Leica et j’ai terminé au Rolleiflex. J’avais fait un trajet avec lui de Paris à Tulle, et je lui avais donné pas mal de mon opinion, sur beaucoup de choses (sourire). Je lui disais, il faut pas faire ci ou ça… par exemple sur les films du PS ou sur le fait qu’il ne devait jamais monter sur une table, surtout pas ! parce qu’après, la photo va rester. On était enfermés dans cette voiture pendant 5h et j’étais assez radical. Plus qu’un conseiller en communication ! J’ai gardé ça de mes parents je fais que papoter. Avec Mitterrand je lui ai dit : je viens papoter (mais j’avais mon appareil photo, et comme il me sentait désintéressé au bout d’un moment il m’a dit : bon, on fait une photo ?

En revanche j’ai pas encore photographié Macron. Depuis De Gaulle j’ai tout le monde mais pas lui. Mais je peux faire un effort ! Je me dis, si j’avais 5 minutes avec lui, qu’est-ce que je ferais ? Il ressemble un peu à mon fils d’ailleurs, genre sorti des grandes écoles, bababababa ! Il faut le faire bouger, lui faire faire quelque chose (rires).

Tout ça pose la question de la commande. On te passe une commande et tu te dis est-ce que je la fais ou je la fais pas… Est-ce que tu fais la photo de tous les hommes politiques ? Oui. Si tu es un témoin attentif de ton temps tu le fais, gauche droite, oui. Mais ou s’arrête ton engagement à faire des photos. Si c’est des gens qui véhiculent une idéologie pas tout à fait la même que la tienne qu’est-ce que tu fais ? Et une photo de guerre, la violence, l’acharnement sur des civils à côté de toi. Des questions que je me suis posées plus tard…

Voilà plus de 60 ans que vous photographiez. Y a t-il encore une envie?... Apparemment vous désirez photographier le Président, mais encore…

RD : Ha ha !... L’envie de rencontrer les gens, oui. Et aller vite. Aller photographier des gens mais très vite. Pas perdre beaucoup de temps…

REPERES

  • 2019 -  “Journal de France“ (2012) présenté à La Rochelle par R.Depardon et Claudine Nougaret
    Nombreux films présentés et/ou primés à Cannes : “12 jours“, “10e chambre“, “La captive du désert“.
  • 2013 - Tour du monde pour l'expo “Un moment si doux“
  • 2012 - Portrait officiel du Président Hollande.
  • 2010 - Expo “La France de Raymond Depardon“ à la BnF 
  • 2009 - Prix Nomad’s avec Paul Virilio pour le catalogue de Terre Natale, ailleurs commence ici
  • 2006 - Directeur artistique des Rencontres d’Arles
  • 2004 - Mission photographique sur la France et son territoire.
  • 2001 - Profils paysans, premier film d’une série : L’approche ; Le quotidien ; La vie moderne (prix Louis-Delluc 2008)
  • 2000 - Prix Nadar et grande expo à la MEP
  • 1991 - Grand Prix National de la photographie
  • 1989 - Photographie la chute du mur de Berlin.
  • 1987 - Epouse Claudine Nougaret, ingénieure du son et réalisatrice. Ils tournent “Urgences“ à l’Hôtel-Dieu.
  • 1983 - “Faits divers“, réalisé dans un commissariat du V ème
  • 1981 - César du meilleur documentaire pour “Reporter“ puis en 1995 pour “Délits flagrants“
  • 1978 - Rejoint Magnum. Guerre civile au Liban et en Afghanistan.
  • 1974 - Documentaire sur VGE : “Une partie de campagne“ (ne sortira en salles qu'en 2002)
  • 1969 - “Ian Palach“, premier documentaire en Tchécoslovaquie,
  • 1966 - Co-fonde l’agence Gamma
  • 1960 - Photographie vedettes, J.O, guerre d’Algérie
  • 1958 - “Monte“ à Paris
  • 1956 - Apprenti photo-opticien
  • 1954 - Premier appareil, cadeau de son frère. Il a 12 ans et photographie la ferme familiale du Garet (69)

Dernière mise à jour : 17 janvier 2022

Cette page a-t-elle répondu à vos attentes ?