Philippe Katerine

Sa voix est tendre, et il porte le sourire d’un enfant qui aurait fait une blague. Mais c’est un homme à qui il faut laisser manger sa banane tout nu sur la plage - tout près d’ici, la plage. Ceci fait, il fut à La Rochelle en résidence à La Sirène avant le premier concert de sa tournée des confessionnaux, le 29 novembre.

Publication : mars 2020 / Texte : Elian Da Silva Monteiro / Photo : © Julien Chauvet

Le public, comme accoudé au bar du Louxor, a dit : j’adoooooore! La veille, le p(r)écheur Katerine passait à confesse dans le salon de l’Hôtel François 1e entre son café du matin et les huîtres de midi à propos de son 13e album (“Confessions“, donc) et d’autres menues choses…

Si l’on en croit la photo de pochette et votre affiche, vous semblez avoir eu recours à la chirurgie esthétique. (Katerine y figure avec de très grandes oreilles et, prolongeant son nez, ce qui a tout lieu de ressembler à un sexe masculin). Est-ce que la greffe a bien pris?

C’est pas ce que vous croyez (rires). Plutôt une trompe, quoi ! On est des petits éléphanteaux, tous qu’on est ! On aimerait bien voler avec nos grandes oreilles comme chez Disney. Sur cette pochette c’est ça que je vois, c’est Dumbo. Un Dumbo de cauchemar quand même. Une créature maléfique, quelque part. Mais ce que je retiens de cette photo, aussi, c’est que le regard est tendre, perdu.

C’est vous ça, tendre et perdu ?

C’est comme ça que j’étais à ce moment-là.

Et à présent vous êtes un dur retrouvé ?

Un peu plus retrouvé que dur (sourire allusif). Enfin, ce que je vois là c’est une créature que l’on a envie de prendre dans ses bras et de rassurer.

Votre maman, elle vous a reconnu dans cette image ?

Je crois que c’est pas sa pochette préférée (éclat de rire). Elle a peut-être mieux préféré celle où ils étaient tous les deux mon papa et elle*. M’enfin, ma maman est très conciliante aujourd’hui. Y a trente ans elle l‘aurait peut-être mal pris mais maintenant elle s’est complètement assouplie. Elle n’est pas d’accord avec tout mais… elle a pas honte je crois. C’est d’jà ça !

Sur ce disque il y a beaucoup de visiteurs, de mots partagés avec Camille, Angèle, Chilly Gonzales, Lomepal, Oxmo Puccino, Dominique A… Comment avez-vous travaillé avec eux ?

Rien de compliqué. Je me suis aperçu que pour certaines chansons il faut savoir ne pas rester seul. Donc j’ai invité d’autres personnes avec qui converser, ça s’est imposé.

Des conversations ?

Oui, une forme de conversation, si on prend une chanson comme “ KesKesséKcetruc“ avec Camille c’est vraiment un échange, avec Angèle aussi. D’autres fois un monologue comme avec Lomepal ou Oxmo.

Quelle forme cela prend sur la tournée puisque par définition ils ne sont pas avec vous en scène ?

Dans le groupe, ce sont des instrumentistes mais tous aussi des chanteurs, donc ils prennent le relais. Ce qui m’intéresse, c’est la multiplicité des voix et tous sont capables de chanter, pour la plupart mieux que moi d’ailleurs.

Il y a eu échange aussi dans l’écriture ?

Avec Dominique A. oui (c’est une vieille amitié) mais Oxmo ou Lomepal ont écrit leurs parties respectives, je leur ai donné un peu l’idée et puis ils ont écrit.

Il paraît que vous êtes quelqu’un de gentil, un type qui ne se met jamais en colère. Ce n’est pas trop dur ?

(Sur un ton agressif) : C’est quoi ces conneries ?!!!... ça m’arrive de me mettre en colère mais c’est pas mon truc. Je me sens tout de suite ridicule. Mon anatomie change, je suis méconnaissable.

Et quand le monde n’est pas gentil, avec vous ou avec les gens autour, vous faites quoi, des chansons ?

Exactement. Quand on est pas gentil avec moi j’écris des chansons tellement que ch’uis énervé. C’est par là que ça passe. Ou alors, selon les périodes, je fais un dessin.

Vous dessinez beaucoup ?

Oui, ça libère, c’est quelque chose que je conseille aux personnes agressées. En plus de déposer plainte, éventuellement.

Sur votre album les chansons que vous avez écrites en réaction, les plus énervées, ce sont lesquelles ?

Tout est en réaction. La façon dont j’écris les chansons est très impulsive. Y en a une qui s’appelle Raphaël où je dis qu’il faut raser le Louvre, comme un copain disait à la fac. Ce sont des propos qui me sont venus parce que j’étais dans une phase de retour à mon côté vandale.

Vous êtes un vandale ?

Oui. J’ai passé des nuits au poste parce que j’avais cassé des trucs. C’est des petites tentations de vandalisme. Raser le Louvre, c’est un vieux projet. Je le reconnais. Je le… euh… confesse.

Récemment vous avez vandalisé quelque chose, au-delà de la langue française et de la musique ?

Ha ha ha, merci de le signaler. Non, j’ai des tentations mais j’ai remarqué que le vandale se fait beaucoup de mal à lui-même la plupart du temps. Je ne parle pas de la répression ou du fait de passer une nuit en taule mais souvent, quand on va briser des vitres, ça vous revient dans la gueule. J’ai compris ça et maintenant je préfère faire une chanson ou un dessin plutôt que de me retrouver le cou tranché - par un bris !

Vous avez 50 ans. C’est parfois l’âge où l’on se retourne… Vous pouvez dire ce que vous voyez ?

Je ne me retourne jamais ! (long silence)… C’est vrai. J’avance.

Vous ne vous retournez jamais sur le petit gars de Chantonnay-Vendée qui bidouillait des chansons sur son magnéto ?

Non, parce qu’il est avec moi. On est toujours ensemble.

Cet état d’esprit bidouilleur, le terme bidouillage, ils vous conviennent ?

Ça me va très bien. Je bricole. Dans la vie je n’ai même pas de trousse à outils mais moi je m’amuse beaucoup à bidouiller à faire des petits collages. J’adooore tout ça, de plus en plus j’aime bidouiller des chansons.

Vivre une partie de sa vie à Chantonnay, c’est inspirant pour se mettre à… chantonner?

Ha ha ! Le terme chantonner me convient d’avantage que chanter. Je n’appartiens pas non plus à la catégorie des grands chanteurs, par contre, je chantonne avec une certaine distance, ce qui est d’ailleurs l’apanage du chanteur pop, la distance. Une forme de pudeur : ne pas trop s’engager dans le sentiment. Donc effectivement je chantonne, il chantonne, vous chantonnez !

Et si vous regardez devant, à présent…

Ce que je sais c’est que j’ai une vision de l’avenir à court terme. Ce midi on nous a dit à La Sirène qu’on nous servirait des huîtres. Donc ma perspective, elle est là, avec du mu-mus… muscadet ! Et je sais que ce soir il y a un concert, mais c’est quand même très loin.

Cette résidence à La Sirène, qu’apporte-t-elle dans la création de votre spectacle ?

On a mangé ensemble… Ingérer des aliments en face de l’autre ce n’est pas rien. On peut parler la bouche pleine et on apprend à se connaître. Et on avait la chance, après les répétitions de se mettre les pieds sous la table avec un repas qui était prêt. T’as pas à te poser la question “Mais qu’est-ce qu’on va manger ? Qu’est-ce qu’on va faire ce soir, des pâtes ou du riz ?“

Vous attachez beaucoup d’importance à la nourriture…

C’est capital. Bon, moi, j’aime tout, donc ça va. Et c’était super bon tout ce qu’ils nous ont préparé. Hier y avait un hachis parmentier grand-mère, c’était un délice. Y sont au top, on était dans un confort extraordinaire.

Parlez-nous un peu de votre spectacle, de sa scénographie…

Elle est très recherchée. On a travaillé beaucoup avec Marie-Philomène Roux qui s’occupe des lumières, elle était aussi sur la tournée précédente, on est sur la même longueur d’ondes. C’est elle qui a trouvé l’idée de scénographie, assez baroque et surréaliste. Avant je ne m’intéressait pas beaucoup aux lumières et tout ça, mais maintenant ça me passionne tout autant, les habits, le son. Tout me passionne. Avant je m’en foutais un peu, j’allais sur scène comme on va chercher son pain. Maintenant je m’intéresse à tout, j’adore. Tout est beaucoup plus passionnant quand on s’intéresse, j’ai remarqué.

Dans quel état d’esprit êtes vous à la veille de ce premier concert de la tournée ?

Après les huîtres y aura une petite siestoune, une heure soixante au bas mot. Ensuite on va regrouper les forces au bon moment, convoquer les énergies. Mais moi j’ai pas le trac, j’essaie au contraire de forcer un peu ma nature et d’avoir un peu le trac. De toute façon on est bien, on a fait cette semaine de résidence, avec un groupe que je ne connaissais pas parce que j’avais un désir de changement total. Alors j’ai demandé à Victor Lemasne directeur musical… c’est la première fois que j’avais ce confort extraordinaire d’avoir un directeur musical qui dirige les choses et moi j’interviens juste quand je ne suis pas d’accord. C’est lui qui a recruté ces cinq musiciens que j’adore.

Et la greffe a pris, là aussi ?

La greffe a pris ! Victor est quelqu’un en qui j’ai confiance depuis longtemps et il ne s’est pas trompé non plus humainement. Le casting est très heureux.

Qu’est-ce qu’il y a de bien après une bonne bière ? (pour mieux saisir, il faut écouter la chanson “Bof génération“)

Une bonne bière ! Et c’est ce que j’ai fait hier soir, on s’est retrouvés dans un bar ici avec des gens barbus et des piercing, un bar à bière… agréable hein… Et puis La Rochelle, c’est une ville (geste d’excellence)… La pierre, la pierre ! on n’a pas ça en Vendée, à Chantonnay t’as pas la même pierre…

Elle est plus grisouille, la pierre vendéenne ?

Le mot est lâché ! Une belle pierre, une bonne bière… Pour la peine vous me ferez deux Ave et trois Pater.

* album “Katerine“, 2010.

Repères

  • Naissance de Philippe Blanchard le 8 décembre 68. Timidement, il grandit à Chantonnay
  • Forme des groupes inspirés des anglo-saxons qu’il écoute
  • Compose des chansons en solo. Il s’enregistre sur son magnéto
  • Joue au basket à très haut niveau départemental
  • Passe son bac (d’abord), flirte avec les arts plastiques à l’Université de Rennes
  • Exerce plusieurs boulots (projectionniste, emballeur de poulets, prof de gym au lycée agricole)
  • 1991 " Les mariages chinois " premier album d’une série de 13 (et de tubes) jusqu’à Confessions (2019)
  • 1999, compose “Une histoire d’amour“ pour Anna Karina
  • 2006, “Robots après tout“ est disque d’or
  • 2010 il est Boris Vian dans le biopic “Gainsbourg“. Il tournait déjà avant mais ne cesse de tourner depuis.
  • Il sera (de nouveau) au Francofolies cet été.
  • A la ville, vous le reconnaîtrez facilement car il ne porte pas toujours une moustache   

Dernière mise à jour : 18 janvier 2022

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